Sunwook Kim, meilleur impressionniste que romantique

Res Musica

Dans son récital parisien de l’année, le pianiste coréen  brille de façon inégale.

 est encore jeune, mais son prestige ne cesse de croître. Tout auréolé de sa victoire au concours de Leeds, il gravit une à une les marches de la célébrité : après des apparitions remarquées à la salle Pleyel, comme partenaire de musique de chambre, il a prouvé qu’il excellait dans les concertos, et se produit désormais en récital à travers le monde.

Ce soir, son entrée en matière est passionnante : Dans les brumes, le bref recueil de Janáček qu’il a choisi, semble si bien convenir à sa personnalité musicale qu’on aime à croire qu’il le joue comme son propre auto-portrait. Avec un raffinement constant, et une liberté de ton digne d’éloges lorsqu’on sait le degré d’intrication de l’écriture de Janáček, il propose une succession d’atmosphères évocatrices, ténues et changeantes, au fil des humeurs qui traversent la partition : lamentations et éclats de fureur dans la première pièce, candeur un peu fruste dans la seconde, caresses angoissées dans la troisième. La quatrième et dernière miniature est un sommet, avec son allure de rhapsodie déclamée et éperdue ; c’est là que le toucher infiniment délicat de Kim, ses nuances pastel, son sens du rythme, s’épanouissent avec le plus d’à-propos. Plus que tout, les phrases respirent, elles prennent leur temps et se dilatent ; ainsi interprétée, avec rigueur, maîtrise et maturité, la musique épouse réellement les contours de l’âme.

Qualités diluées

Peut-on imaginer deux esthétiques plus éloignées que celles de Dans les brumes et de l’Appassionata ? Dans la démesure beethovénienne, les qualités du jeu de Sunwook Kim, qui exaltaient le charme de la musique de Janáček, semblent se trouver subitement à contre-emploi. Ici, il faut un souffle, une détermination qui embrase les vastes formes de la sonate. Or un déséquilibre persistant entre les deux mains nuit à la conduite du discours ; le phrasé devient plus lâche ; ce qui était délicatesse se mue en tiédeur ; tant et si bien que l’on reste sur le seuil de cette interprétation, malgré sa perfection technique toujours intacte. L’Andante con moto, surtout, semble terne, et même s’il apporte un soin pointilleux à ses textures sonores, Kim ne parvient pas vraiment à construire une progression à mesure que les notes deviennent plus abondantes.

De belles pages lisztiennes obligent à nuancer ces jugements. « Après une lecture du Dante » manque encore de puissance, mais non plus d’architecture ; on trouve aussi des couleurs séduisantes dans l’intimité d’« Il Penseroso ». Pour autant, si l’on devait adresser à Sunwook Kim une supplique, ce serait pour lui enjoindre de délaisser les pages héroïques de la littérature pianistique et de leur préférer les trésors plus humbles et plus secrets des formes brèves. C’est dans celles-ci, à n’en point douter, que sa sensibilité portera les meilleurs fruits.